Je viens de lire un post qui m’a bouleversé. Un post sur la page Facebook de Louise and co. Un post écrit par la plume si sensible de sa maman, Caroline Boudet. Un post qui m’a semblé venir de mon coeur, de ma tête. De ma culpabilité de parent d’enfant handicapé. De celui qui ne fait “pas assez” comme Caroline le dit si bien. Bien sûr ce n’est pas vrai. Mais ce sentiment de “pas assez” qui nous tenaille lui, il est bien réel. Si réel.
Certain diront que la culpabilité de ne pas faire assez, pas faire assez bien, pas faire comme il faut est inhérente à la parentalité. Peut-être. Mais j’ai le sentiment que la culpabilité du parent d’enfant en situation, elle a ceci de particulier qu’elle ne te laisse pas de répit. Jamais. Pourquoi ? Car tu as peur pour l’avenir de ton enfant, tout le temps. De mal faire, de prendre les mauvaises décisions. De ne pas aider “assez”. Et surtout, surtout. Tu culpabilises de ne pas faire assez.
Cette culpabilité elle a toujours été là. Dès que les mots “maladie rare” ont été prononcé. Très très vite, on te parle “prise en charge précoce”. Oui c’est la clef, je le sais, on a foncé tête baissée dans cette optique et oui, ça porte ses fruits. C’est vrai, et c’est normal que les médecins et tout l’entourage paramédical le mette en avant. Mais quelle pression…
“Tout se joue avant 3 ans”
“Le cerveau est malléable jusqu’à 6 ans”
“La plasticité cérébrale est importante dans la petite enfance, il ne faut pas perdre de temps”
Quel poids sur les épaules te mettent toutes ces recommandations. Mais aussi intéressantes que soient les découvertes des neurosciences, elles en oublient une chose essentielle. L’humain. Toi, qui te débat avec TOUT. L’annonce du handicap, les hospitalisations, les rendez-vous médicaux. Trouver les professionnels adaptés. Caler les prises en charge dans l’agenda de ministre de ton enfant. Je ne parle même plus de ta vie à toi. Et qui au milieu de tout ça, tu as comme cette “dead-line” de faire absolument TOUT ce qui est en ton pouvoir pour faire progresser ton enfant.
Quand mon fils était tout petit, on faisait ses exercices de psychomotricité consciencieusement tous les jours. On était dans cette phase où on ne comprenait pas encore bien ce qui nous arrivait, mais on faisait tout ce qu’on nous disait. Et puis un jour, cette phrase de son papa. “Des fois je me dis qu’avec tout ce qu’on lui fait faire, il devrait “prendre de l’avance” tu vois, alors pourquoi on nous dit qu’il est encore en retard dans ses acquisitions ?”. La claque. Le début de la prise de conscience. Nous nous n’avions qu’un bébé de 4 mois. Notre premier enfant. Aucune idée de ce que “doit faire” un enfant de 4 mois. Mais on suivait les recommandations. On le stimulait visuellement pour sa (supposée) malvoyance, on refaisait les mouvements de kiné, on le massait, on faisait tout. Alors quoi ? On n’est pas assez bons ? On ne fait pas assez ? Le début des doutes… et de la culpabilité.
Puis tout est devenu plus compliqué. Les conseils qui fusent. “Tu as essayé ça ? Et ça ? Et ça ?”. Je me suis renseignée, beaucoup, beaucoup, on a testé des trucs, mis en place d’autres choses. Les journées devenaient trop courtes. J’ai eu des jours d’angoisse terrible, parce que quand je rentrais du travail parfois je n’avais pas envie. Pas envie de faire ces fameuses 15 minutes dont parlait Caroline dans son post. Les 15 minutes de motricité fine, les 15 minutes de lecture, les 15 minutes de massage bucal. J’ai souvenir de ces fois où je me suis forcée car j’avais l’impression de condamner mon gamin si je ne le faisais pas. Je me souviens aussi de ces fois où je ne l’ai pas fait, et où le soir dans mon lit l’angoisse de ne pas être une bonne mère venait s’asseoir sur ma poitrine pour m’étouffer.
Et on a eu envie d’agrandir la famille, on a eu des jumeaux. D’un petit garçon qui avait toute notre attention, nous sommes passés à 3 garçons. La culpabilité a changé de visage, et elle continue d’évoluer. Il n’y a pas que la culpabilité de ne pas faire assez. Il y a celle de lui imposer tout ça. Celle d’avoir moins de temps pour ses frères. Celle d’en avoir profondément marre parfois, et de vouloir aussi se recentrer sur nous, sur moi. Maintenant mon grand garçon a 5 ans. Si j’ai un peu plus de recul sur le sujet, c’est juste un peu. Chaque petite phrase, chaque petit “conseil” me replonge dans des questionnements sans fins. Et si j’avais fait ça ? Et si on faisait ça ? L’impression constante de devoir prouver qu’on fait “assez” face à certains. Ignorer les regards de ceux qui trouvent parfois qu’on fait trop, ou mal. Ce poids qui pèse sur nos épaules de parent d’enfant différent.
Vous savez ce que je déteste le plus dans le handicap ? J’ai l’impression que cette culpabilité m’a privé de mon rôle de maman. Quand je suis avec mon grand garçon, je suis au mieux du mieux à 99% sa maman. Il reste toujours un petit regard d’éducatrice, de psychomotricienne, d’orthophoniste, de neuropédiatre, d’orthoptiste, de kinésithérapeute, d’orthodontiste, de chirurgien… Un regard qui analyse ce que je pourrais faire “de plus”. Et ce regard, il est lourd à porter sur son propre enfant…
Alors oui, je fais tout ce qui est en mon pouvoir pour porter mon fils aussi loin que possible. Je voudrais pouvoir le faire sans cette culpabilité. Cette culpabilité qui parfois ose murmurer dans mes oreilles que tout est ma faute…
10 comments
Merci de mettre des mots sur ce que nous vivons ! C’est différent et beaucoup plus difficile quand on a un enfant porteur de handicap. Cette angoisse de louper quelque chose, de ne pas avoir testé telle thérapie et que l’enfant en porte à vie les séquelles ! Tous les examens, tous les rv hebdomadaires avec les thérapeutes !
Je culpabilise aussi beaucoup pour ma cadette qui avait deux ans à la naissance de sa petite sœur. Elle a grandi et mûri si vite, elle n’a jamais fait de colères. A deux ans et demi, elle a commencé à nous dire que plus tard, elle serait médecin pour soigner les enfants malades et s’occuper de sa sœur. Trois ans plus tard, elle dit qu’elle veut devenir urgentiste pour sauver des vies. Elle a 5 ans et demi ! Mon aîné m’a dit que plus tard, il habiterait avec sa femme, sa sœur cadette et le mari de celle-ci et leur plus jeune sœur et qu’ils seront quatre adultes pour prendre soin d’elle. On oublie souvent que la fratrie vit aussi avec le handicap et en souffre indirectement.
La question de la fratrie c’est tellement délicat… Je crois qu’on ne sait jamais trop comment aborder les choses, et là pour le coup les petites phrases/conseils qu’on n’a pas demandé « pensez à vos autres enfants aussi ». Oui oui oui. Inutile de me le rappeler, inutile de sous-entendre que je ne le fais pas. ça aussi ça fait mal…
Tes mots sont extrêmement touchants.
Quand on est parents, on découvre cette charge de culpabilité de ne jamais en faire assez, la peur de l’avenir, etc. Mais pour toi, avec un enfant handicapé, ces peurs sont multipliées par 100 ou 1000, c’est inimaginable. Ton courage me touche profondément.
Et malheureusement, je ne peux rien faire de plus que te serrer virtuellement dans mes bras. 🙁 Mais je le fais de tout coeur. <3
Merci beaucoup Rose, ton message me touche <3 Tout ce "virtuel" compte énormément pour moi.
Vous faites de votre mieux et c’est déjà énorme. Pour le temps « volé » par la fratrie, c’est du temps de parents en moins maintenant pour ne pas être complètement seul plus tard. Comme je l’ai déjà dit, mon frère aîné est autiste haut potentiel et ma mère a entendu un paquet d’horreur lorsqu’elle était enceinte de moi (le trophée étant « t’as pas peur qu’il/elle soit pareil ? »). Maintenant que nos parents ont disparu, je prends pleinement la mesure du filet de sécurité que représente la fratrie. Il a vécu 6 mois chez mon petit frère, je m’échine à récupérer le moindre centime auquel il a droit grâce aux prévoyances pro de mes parents et ma soeur se charge des coups de fil à la mdph parce qu’on patauge bien comme il faut. Et encore, il venait d’obtenir une place pérenne à l’Esat. Ma mère gérait tout.
Et petite, ça m’a appris la tolérance, l’acceptation de la différence et à développer des trésors de diplomatie et compétences relationnelles. Si ça suscite des vocations de soignants et qu’on arrive à avoir des médecins qui ont vécu le handicap au quotidien, ça ne peut qu’embellir notre société. C’est peut-être plus difficile quand ce n’est pas l’aîné, je ne sais pas.
Courage à vous et surtout du soutien. J’ai découvert récemment les vacances adaptées avec possibilité de répit (pour les parents, l’enfant et la fratrie). Je ne connaissais pas du tout, peut-être que ça peut être utile (même si ultra ponctuel )
Merci pour ton message Soazig <3 Je dois dire que le répit j'aimerais surtout l'avoir au niveau administratif et médical ^^ Au quotidien Gustave est super cool 🙂 Après, je ne dirais pas non à une semaine de vacances avec mon chéri mais pas facile quand on a 3 enfants 😉 L'objectif de cette année c'est déjà au moins de se faire un week-end !
Je n’ai pas d’enfants handicapés, donc pas de témoignage à t’apporter, encore moins de conseils, évidemment !
Mais je voulais te remercier, pour tout ce que tu écris et tu livres ici.
Car tu lèves le voile, pour moi en tout cas, sur les conséquences directes du handicap pour une famille. Et c’est précieux, car cela permet de comprendre ce que vivent les parents d’enfants handicapés. Or, on parle très peu du handicap, et encore moins de ses impacts sur une via familiale. Et je trouve que c’est important que tu t’exprimes.
Enfin, pas de témoignage ou pas de conseils de ma part, ne veut pas dire pas d’empathie. Je te lis depuis quelques temps déjà, et je ne peux que te dire à quel point je trouve que tu es mère extra, que tu donnes tellement à tes enfants !!! Je t’envoie tout mon soutien, toute mon envie irrationnelle que tout aille bien pour toi.
Un grand merci à toi Cyann pour ton message, il me touche beaucoup. Moi aussi je trouve qu’on en parle peu finalement, et souvent quand on en parle on ne présente que le côté « mère courage » ou alors l’aspect religieux, et je ne me retrouve pas toujours dans cela. C’est aussi pour ça que je souhaite aussi partager mon expérience. Je suis contente que cela se ressente au moins un peu.
Bon alors, je vais t’exposer ma situation: Je suis ergothérapeute, je travaille à la MDPH, j’ai travaillé en CAMSP, et ma Julie, qui a aujourd’hui 4 ans, est née super grande préma, et a eu une sonde naso-gastrique. J’ai donc été un peu des 2 côtés de la barrière (thérapeute, maman/patiente).
En tant qu’ergo, je ne peux qu dire que j’admire tous les proches, aidants, parents, de personnes porteuses de handicap, car effectivement, c’est un emploi du temps de ministre, tant administratif, qu’au niveau des prises en charge, et il ne faut pas oublier la vie de famille!!! Mais ce que les thérapeutes oublient, ce dont ils ne se rendent pas compte, c’est que le handicap, c’est en 24/24h! Je m’en suis encore plus rendu compte quand Julie était en HAD, que les professionnels venaient et disaient: Oh, elle est toute calme et mignonne… Bon, allez, à dans 3 jours! Ouais, ben t’es pas là quand elle arrache sa sonde ou qu’elle vomit tout parce qu’elle est littéralement gavée! Là, elle est moins mignonne!!! C’est dans un de ces moments que j’ai découvert ton blog, via ton billet sur comment tu t’es débarrassée de la sonde. Je pense que c’est presque seulement grace à toi, qu’on a accepté de « lacher »… et Julie aussi, par la même occasion.
En tant qu’ergo, thérapeute, et maman, je peux te dire que tu es une SUPER SUPER maman! Tu as 3 enfants, 3 garçons, et tu fais ce qu’il faut pour eux, parce que tu fais de ton mieux! Je t’admire vraiment et je te remercie de tout mon coeur pour ce que tu as fait pour nous.
Géraldine
Merci beaucoup Géraldine, ton message me touche beaucoup ! Je suis contente que le fait de témoigner ici ait pu t’aider ou tout du moins t’apporter un peu de réconfort. Ton expérience de l’HAD me parle tellement… Les infirmières qui passaient étaient adorables, elles avaient toujours un mot gentil et réconfortant mais une fois qu’elles partent on est si seuls…